Par Pierre Favilli,
Conseil en propriété industrielle, Directeur, LEGIMARK
A l’occasion des Jeux Olympiques de Paris 2024, les yeux du Monde seront rivés sur la France et de nombreux opérateurs économiques espèrent profiter de cette période afin d’impulser leur activité. Toutefois, surfer sur la vague des Jeux Olympiques n’est pas sans risque !
Si le grand public a conscience du risque inhérent à la reproduction ou à l’imitation des emblèmes et propriétés olympiques protégés par le Code du sport et le Code de la propriété intellectuelle, il convient également de mettre en garde face aux risques que représentent les communications commerciales faisant naitre l’idée d’un partenariat officiel avec le Comité Olympique. Explications.
Définition de l’ambush marketing
Les ressources issues des contrats de partenariat représentent un tiers des finances nécessaires à l’organisation des Jeux Olympiques. Les sommes en cause sont considérables, tel que l’atteste le montant déboursé par LVMH en vue de devenir partenaire premium de l’édition Paris 2024, estimé à environ 150 millions d’euros. Si de nombreux opérateurs ne peuvent débourser de telles sommes afin d’être partenaire officiel de l’événement, certains sont prêts à mettre en place une stratégie commerciale visant à profiter du contexte favorable à moindres frais.
L’ambush marketing, également dénommé marketing d’embuscade, s’entend d’une pratique publicitaire visant à profiter d’un évènement, sportif ou culturel, afin d’y associer son image et se rendre visible du public, sans pour autant rétribuer l’organisateur dudit événement. S’il n’est pas interdit par principe, l’ambush marketing peut être condamné sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle, au titre du parasitisme économique, lequel se définit comme « l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire » (Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 26 janvier 1999, 96-22.457). Plus précisément, les actes d’ambush marketing peuvent être assimilés à des actes d’agissement parasitaire. Contrairement aux actes de concurrence parasitaire, les actes d’agissement parasitaire ne supposent pas de rapport concurrentiel entre les acteurs en cause ni de risque de confusion entre les produits et services respectivement proposés. Les juges de la Cour d’Appel de Paris résument ainsi que « Le fait pour une entreprise de se rendre visible du public lors d’un évènement sportif ou culturel afin d’y associer son image tout en évitant de rétribuer les organisateur et de devenir un supporter officiel constitue une situation d’ambush marketing qui constitue une faute au regard des dispositions de l’article 1382 du code civil (…) Mais il importe peu au regard des dispositions de l’article 1382 du code civil que la société (…) soit ou non en situation de concurrence avec la société (…) dès lors qu’il appartient au demandeur à l’action de démontrer que le comportement de la personne morale qu’il poursuit est fautif du fait qu’elle n’a pas respecté les règles de loyauté et de probité qui préside à toutes relations commerciales », CA Paris, 10 février 2012, RG n°10/23711.
Les Jeux Olympiques sont fréquemment le théâtre d’actes d’ambush marketing. Citons ainsi deux cas identifiés lors de l’édition de Londres en 2012. En réalisant son sprint avec au poignet une montre Richard Mille à 500 000 dollars, l’athlète Yohan Blake a offert une grande visibilité à l’horloger, au détriment d’Omega, partenaire officiel de la compétition. De son côté, en distribuant à de nombreux athlètes ses casques audios, la société Beats a bénéficié d’une visibilité supérieure à celle de Panasonic, pourtant sponsor.
Condamnation de l’ambush marketing au titre du parasitisme économique
Si les actes d’ambush marketing peuvent prendre de multiples formes, il ressort de la jurisprudence française que ceux-ci seront condamnés sur le fondement du parasitisme économique dès lors qu’ils concourent à créer un lien, dans l’esprit du public, entre l’opérateur économique ne bénéficiant pas du statut de sponsor officiel et l’événement auquel il se rattache, afin de tirer profit, sans rien dépenser, des efforts réalisés par l’organisateur.
La reproduction du nom d’une compétition sportive faite par un tiers en vue de mettre en avant son activité est ainsi condamnable dès lors qu’il ne saurait justifier d’un usage nécessaire, Cour d’appel de de Paris – Pôle 05 ch. 01, 14 octobre 2009 / n° 08/19179. Dans cette affaire, un site de paris sportif était poursuivi du fait de l’utilisation de la dénomination « Internationaux de France » laquelle constitue la désignation officielle du Tournoi de Roland Garros. Les juges ont considéré que la publication « Pariez sur les Internationaux de France […] Pariez aujourd’hui sur les 2 demi-finales homme opposant Roger Federer à Nikolay Davydenko et Novak Djokovic à Rafael Nadal » n’avait pas servi à promouvoir les seuls paris sportifs relatifs au Tournoi de Roland Garros mais plus généralement l’ensemble des paris proposés par la société défenderesse, portant également sur l’Open d’Australie, assimilant ainsi cette stratégie commerciale à des actes d’agissement parasitaire.
Aussi, la simple loterie adressée aux clients d’une société dans le but de faire remporter des billets d’accès à une compétition peut être condamnée dès lors qu’elle alimente l’idée d’un statut de partenaire officiel, Cour d’appel de de Versailles – 1re chambre 1re section, 10 mars 2016 / n° 14/00536.
Il en va de même de la publicité associant une entreprise à des sportifs ou à une équipe concourant à une compétition, TJ Paris, 27 juin 2014, n° 12/12555 (FFR / Wilkinson – JWT). Quelques jours avant la finale de la Coupe du Monde de Rugby 2011, la société ENERGIZER GROUP FRANCE a publié une affiche associant sa marque Wilkinson à la mention « Allez Marc, rase-nous cette moustache (…) Wilkinson encourage Marc Liévremont et le XV de France pour leur finale ». Les juges ont ainsi considéré que cette publicité, mentionnant directement l’équipe de France de rugby et son sélectionneur suscitait l’idée d’un partenariat officiel. Ils relèvent également l’importance de la prise en compte du contexte commercial afin d’apprécier les actes d’agissement parasitaire, parmi lesquels la date de publication de la communication incriminée. Ainsi, plus un acte d’ambush marketing est réalisé à une date proche de la tenue d’une compétition, plus il y a de risques pour que celui-ci soit condamné au titre du parasitisme économique.
Une décision particulièrement intéressante a été rendue suite à la reprise des couleurs olympiques, TGI PARIS, 3ème chambre, 13 juin 2014. Environ trois mois avant le début des Jeux Olympiques de Londres, la société Le Coq Sportif a présenté de nouvelles baskets dont la semelle reprenait les couleurs olympiques, sans que celles-ci ne soient présentées sous la forme d’anneaux. Précisions également que ces chaussures, désignées sous le signe « Le rêve olympique », étaient associées à l’image de l’athlète Joakim Noah, censé participer à la compétition. C’est en appréciant l’aspect des produits et leurs conditions de présentation que les juges ont considéré que la société française cherchait à s’insérer dans le sillage des Jeux Olympiques de Londres. L’inspiration d’attributs du Comité Olympique faite peu de temps avant le début de la compétition a ainsi été reconnue comme un acte de parasitisme. En l’espèce, l’association commerciale avec un athlète mondialement connu et censé participer aux Jeux n’a fait que conforter l’idée de lien, dans l’esprit du public, entre l’évènement et la société Le Coq Sportif. Cette dernière se défendait en rappelant que les chaussures litigieuses n’avaient pas étaient soumises à la vente mais étaient seulement présentées sur son site internet et proposées en pré-commandes dans de rares boutiques. Précisons en effet que seule une cinquantaine de baskets étaient disponibles et que leur prix dépassait à peine les 100 euros. Dans ce contexte, les juges n’ont pas pour autant considéré que le préjudice subi par le Comité Olympique était faible. Au contraire, ils ont jugé que le but poursuivi par la prévente de ces baskets était de créer un événement autour de leur sortie et d’offrir une visibilité à la marque, plus que de réaliser des bénéfices résultant directement de la commercialisation du modèle. Au regard de l’engouement suscité auprès du grand public, le Comité a subi un manque à gagner pouvant être chiffré au montant qu’il aurait normalement dû recevoir pour cette opération de communication si la défenderesse avait souscrit auprès de lui un partenariat rémunéré. En relevant également que cette dernière a subi un préjudice d’image auprès de ses partenaires officiels, pouvant douter de l’intérêt de solliciter le statut de partenaire officiel des Jeux, les juges ont ainsi condamné la société Le Coq Sportif à verser au Comité Olympique la somme de 100.000 euros de dommages et intérêts.
Au regard de la diversité des condamnations d’actes d’ambush marketing dans le contexte de grandes compétitions sportives, il est légitime de s’interroger sur la possibilité de capitaliser sur une telle stratégie de communication. De rares décisions permettent de constater que la condamnation judiciaire n’est pas automatique. Le critère reste celui de l’ambiguïté sur le potentiel statut de sponsor officiel. C’est ainsi que la Cour de Cassation n’a pas condamné la société FIAT suite à une publicité reproduisant un simple résultat sportif et la date d’un prochain match, associés au message de félicitations « La Fiat 500 félicite l’Angleterre pour sa victoire et donne rendez-vous à l’équipe de France le 9 mars pour France-Italie », Cass. Com, 20 mai 2014, n°13-12102 (FFR / Fiat).
Pour conclure, le cas de l’ambush marketing en période de Jeux Olympiques rappelle l’importance de la loyauté devant présider toute activité économique. Malgré tout, il y a fort à parier que la jurisprudence française s’enrichisse d’ici peu au regard de certaines campagnes récemment lancée…